Comment le yoga peut nous aider face aux effets psychologiques liés à la crise sanitaire

La crise sanitaire liée à l’épidémie de la COVID-19 est inédite. La peur, largement relayée par les médias et les réseaux sociaux, nous habite au quotidien, qu’elle concerne la santé de nos proches, nos amis et notre famille, ou notre propre santé.

Les spécialistes sont unanimes : la santé mentale des individus est particulièrement touchée. La crise sanitaire a fait émerger de nouvelles phobies, consolidé celles déjà existantes, exacerbé les troubles dépressifs, anxieux et autres pathologies liées à la psychiatrie. Alors que la souffrance psychique est immense pour bon nombre d’entre nous, dont le quotidien est entièrement conditionné par la menace de la maladie, voire de la mort, les deux confinements que nous venons de vivre y ont ajouté l’isolement et la rupture du lien social. Si je ne remets aucunement en cause l’utilité de ces mesures pour lutter contre la propagation du virus, les effets collatéraux sont considérables. Considérables, sans nul doute, pour les personnes qui sont « au front », notre courageux personnel soignant, mais également pour chacune et chacun d’entre nous.

A ce sujet, Marion Leboyer, responsable du pôle de psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor de Créteil, interviewée par France Culture, a tenu un propos alarmant, à savoir qu’une 3e vague venait de commencer : la 3e vague de la santé mentale. Cette 3e vague sera certainement celle du règne de la violence, de l’incivilité et de l’agressivité, comme si chaque individu, emmuré dans son malêtre et sa détresse, en venait à oblitérer les bases de la vie en société.

C’est une chose de le savoir, de lire de tels propos dans un journal ou de l’entendre sur une émission radio, ç’en est une autre de le vivre. Si je me permets une telle affirmation, c’est parce qu’à l’heure où j’écris cela, je repense à l’agression que j’ai vécue la semaine dernière, à quelques mètres de chez moi. Cela ne m’était jamais arrivé, moi qui ai pourtant vécu dans de très grandes villes, pas toujours dans les meilleurs quartiers. La façon dont cela s’est passé m’a laissée complètement démunie, avec un profond sentiment d’impuissance, d’incompréhension, de peur, de rage, de désarroi. Si l’agression physique n’a pas été grave en soi, la symbolique-même du geste m’a profondément marquée.

Si je me permets de mentionner cet événement, c’est parce qu’en tant qu’adepte du yoga, je m’efforce de vivre en intégrant chaque jour ses principes à mon quotidien. Je cherche un sens, du moins une réponse à mes questions dans les grands principes, la philosophie, l’histoire, la symbolique du yoga. Bien que cet événement soit encore frais, j’ai longuement réfléchi à ce que le yoga pouvait m’apporter pour le surmonter. J’ai tenté de puiser dans la sagesse des textes anciens et ma pratique quotidienne des ressources, des moyens de résilience, des aides. En ai-je trouvé ? La lecture de la suite vous permettra d’en juger.

Je suis convaincue que le contexte sanitaire y est pour beaucoup dans le comportement de mon agresseur. Je suis convaincue que le climat actuel, anxiogène et particulièrement délétère, exacerbe, comme évoqué plus haut, les fragilités de chacun.e. Il est difficile de distinguer la cause de la conséquence, concernant les pathologies mentales. Cela revient à répondre à la question de l’œuf et de la poule. Ce qui est certain, en revanche, c’est que depuis quelques mois, nous assistons à un effondrement des bases, des valeurs, des structures mentales et morales. Pourquoi ? Parce que ce qui se passe au niveau « macro » reflète ce qui se passe au niveau « micro » : la dégradation de notre modèle économique, l’étiolement de notre système de santé, la remise en cause de notre modèle démocratique,… Tous ces effondrements engendrés par la crise ne sont que le miroir de notre propre effondrement moral et psychologique. Si les institutions vacillent, c’est parce qu’elles n’étaient pas stables dans leurs fondements. Ces fondements ont été pensés et établis par les êtres humains, avec leurs faiblesses et leur lot d’imperfections. L’imperfection de nos institutions nous renvoie à l’imperfection de notre propre nature. L’erreur est humaine, comme l’écrit Woody Allen.

Les optimistes verront dans ce bouleversement sans précédent l’occasion de reconstruire, de repenser la société pour corriger ce qui péchait, afin que demain, nos enfants évoluent dans un monde plus juste, plus soucieux du bien-être de l’autre, plus humain, plus respectueux, plus compatissant, plus bienveillant… Et n’est-ce pas, dans le fond, ce dont nous avons besoin ? La bienveillance, la tolérance et la compréhension ne seraient-elles pas des options dans ce contexte affolant de dégradation relationnelle ?

Sans bienveillance, sans tolérance et sans compréhension, nous ne retrouverons jamais d’apaisement social. Et s’il est difficile de se montrer compréhensif à l’égard de ceux qui nous blessent, nous importunent ou nous déplaisent, il est plus facile en revanche d’être dans la simple tolérance. La Bhagavad-Gîta, texte fondateur de la philosophie du yoga, insiste sur l’importance du non-attachement : le yogi est celui qui est libre de tout attachement, loin de la dualité bien/mal. Cette dualité ne se produit qu’au niveau de notre intellect et notre mental, elle n’a pas d’importance ultime. Dans son commentaire de la Bhagavad-Gîta, Swami Chinmayananda explique :

« On est sous l’emprise de l’attachement dès que l’on s’identifie aux fluctuations mentales. (…) Le succès, et l’échec, les attractions et les aversions, l’amour et la haine sont uniquement le fait du mental. (…) L’identification avec les conditions mentales crée la fausse notion de l’ego, qui s’attribue l’accomplissement de l’action. »

Si nous avons conscience que nos sentiments ne sont que le produit de notre intellect, nous pouvons plus aisément nous en détacher. Par ce détachement, nous renonçons à accorder de l’importance à ce qui n’en a pas. La vie se joue bien au-delà de notre ego et ses manifestations, positives ou négatives. Cette prise de conscience suppose que nous acceptions, au préalable, de renoncer à l’importance que nous attachons à notre propre individualité. Le yoga ne nie pas l’importance de l’être humain mais nous met en garde contre les jeux de notre ego : en tant qu’individus, nous nous sommes forgés une personnalité et une réalité intérieure qui nous appartiennent mais qui, in fine, ne sont que le fruit de l’ego. Dépasser cette réalité conduit à une véritable libération de l’esprit : je ne suis pas cette personne, je suis au-delà de cette personne.

Cette considération rejoint, d’une certaine manière, le mantra « Sat Nam » : « sat » désigne « la vérité » et « nam » signifie « le nom », « l’identité ». Parmi les traductions proposées, on trouve parfois : « Je suis la Vérité« , ou encore plus simplement « Je suis » . Il s’agit de la seule réalité de notre condition : nous sommes, ni plus ni moins. Dès que nous ajoutons à cette affirmation, c’est l’ego qui prend le relais : Je suis médecin, je suis gentil, je suis pauvre, je suis riche, je suis en colère, je suis timide,…

J’ai néanmoins conscience que ce postulat n’est absolument pas au cœur des préoccupations philosophiques et sociétales actuelles. Notre société repose au contraire sur la primauté de l’individu, la reconnaissance de ses droits, son bonheur, son confort et son plein épanouissement. Ces considérations sont essentielles, néanmoins, en excès, elles font perdre de vue l’importance du collectif. Face à la crise que nous traversons, nous avons pourtant besoin, plus que jamais, de penser au collectif.

Malheureusement, penser au collectif est aujourd’hui une notion presque blasphématoire pour la plupart d’entre nous. Principalement parce que le « penser collectif » est grossièrement réduit à l’idée de se transformer en Bouddha ou Mère Teresa. Peut-être devrait-on alors requalifier les termes du sujet : penser au collectif, ce peut être simplement ne pas mettre de l’huile sur le feu quand un conflit émerge, ne pas laisser son énervement s’abattre sur un inconnu, voire, pour les plus audacieux, accepter que son confort personnel ne soit pas systématiquement la priorité.

Ne nous méprenons pas sur le sens de ces exemples : il ne s’agit pas d’imposer une moralité ou un code de bonne conduite. Je pense que chacun.e peut faire à sa mesure, avec ses moyens et ses capacités du moment et en fonction de la situation. Si nous admettons que l’autre ne peut pas toujours faire comme nous aimerions qu’il fasse, alors nous sommes déjà dans une démarche de paix sociale. Nous nous détachons de nos attentes et nous acceptons que l’autre n’est ni un ami, ni un ennemi, mais qu’il est, simplement. Sat Nam.

Cette tolérance devient bienveillance à partir de l’instant où nous sommes en mesure d’avoir une pensée positive pour l’autre. Il y a là encore une énorme marche à franchir. La bienveillance est si facile à accorder aux êtres qui nous inspirent ou, a minima, n’attisent ni notre haine ni notre dégoût… Je dirais que la bienveillance devient possible quand nous prenons conscience que nous avons tous à y gagner. Si nous sommes pleinement en accord avec nous-mêmes, la bienveillance, même à l’égard des êtres qui nous paraissent insupportables, ne nous enlève rien. Bien au contraire : rappelons que les émotions négatives sont terriblement destructrices. Elles impriment en nous des marques qui se transforment en intentions. Ces intentions deviennent, en action, des attitudes. Ces attitudes finissent par nous habiter, façonnant notre personnalité et modelant notre réalité. Le yoga a un mot pour définir cela, que l’on trouve dans les Sutras de Patanjali : « Samskāra » . Les Samskāra sont toutes ces empreintes, ces résidus du subconscient suite à une expérience, ces graines en germe dans notre esprit qui, à force de s’accumuler, finiront par conditionner ce que nous pensons, ce que nous sommes, ce que nous faisons. Si nous avons trop de samskāra négatifs, notre chemin de vie prendra lui aussi une tournure négative, mettant un frein à notre évolution.

Petit exemple : vous êtes dans votre voiture pour aller travailler. Si un conducteur apparemment pressé vous fait des appels de phare, cela vous agacera. Cet agacement est une émotion qui, inconsciemment, se cristallise en vous : le fameux Samskāra. Cette empreinte par laquelle à un événement précis votre inconscient a associé une émotion désagréable – l’agacement – restera en vous. Il est donc très probable que le mois suivant, si vous êtes de nouveau confrontés à la même situation, la mémoire du premier événement s’active. De nouveau, vous sentirez agacé, peut-être davantage que la première fois. C’est ainsi que le conditionnement s’installe : chaque fois que vous serez confronté à la même expérience ou à une expérience similaire, l’émotion associée se réactivera et, rapidement, un sentiment d’accumulation se créera, exacerbant ainsi votre agacement.

Ce phénomène peut engendrer des comportements très destructeurs et se retrouve à la base de nombreuses addictions. La solution, pour s’en libérer, est d’en avoir simplement conscience pour, encore une fois, s’en détacher. Je ne suis pas cette émotion. Je ne suis pas l’agacement.

YogaSutras de Patanjali

Je reviens donc à la bienveillance : en accordant sa bienveillance à une personne, même si celle-ci, à votre sens, ne le mérite pas, vous créez des Samskāra positifs pour vous. Il ne s’agit pas de donner raison aux comportements répréhensibles de cette personne, mais de bouleverser vos propres structures mentales pour ne pas avoir à en souffrir ultérieurement. Si je suis dans une dynamique de bienveillance plutôt que dans une dynamique de colère ou de tristesse, je modifie mes mémoires résiduelles pour qu’il y ait quelque chose de positif, de bon pour moi. J’entends souvent les personnes me dire : « Oui mais moi je n’ai pas envie d’être bienveillant(e), je n’aime pas cette personne, je ne lui souhaite pas du bien ». Soit, mais il ne s’agit pas de souhaiter le bien de quelqu’un ; il s’agit de ne pas se faire du mal à soi. C’est complètement différent. En étant dans le non-amour, le rejet et la colère, on croit se protéger de l’autre mais en réalité, c’est à soi que l’on fait du mal : nous nous laissons envahir par des émotions qui, à terme, sont profondément destructrices.

En définitive, cette démarche ne nous enlève rien, bien au contraire. Et elle n’implique nullement la négation de sa colère, sa tristesse ou sa peur. Simplement, elle invite à considérer ces émotions pour ce qu’elles sont : fluctuantes, comme tout le reste. Il suffit pour cela de poser la bonne intention.

J’en viens donc à ma dernière idée : celle de l’intention, que l’on appelle aussi Sankalpa. L’intention est très puissante, en yoga. On l’utilise pendant la pratique des postures ou la méditation. En contexte de crise sanitaire, elle peut être un excellent moyen de se préserver. Si l’on croit un tant soit peu aux remarquables capacités du cerveau, on peut faire appel à l’intention. L’intention de ne pas me laisser atteindre par le comportement néfaste d’une personne, l’intention de ne pas me laisser submerger par le flot continu d’informations, l’intention de rester calme, l’intention de garder le contrôle, l’intention de me sentir bien… L’intention clairement énoncée apporte un apaisement instantané. Encore une fois, je pense au collectif : si individuellement, nous parvenons à nous apaiser, nos relations sociales le seront elles aussi. Et pour nous relever de tout cela, nous devons compter sur ces petites choses qui nous consolent et nourrissent notre sentiment de sécurité, qu’il s’agisse d’un sourire, d’une main tendue, d’un mot gentil ou, à défaut, d’une cordiale indifférence.

A bientôt sur le tapis.

Namaste

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