
Il y a cinquante ans, je suis venu en Occident pour diffuser la Lumière du Yoga. Aujourd’hui, à travers ce livre, je présente un demi-siècle de mon expérience afin de répandre la Voie de la Paix Intérieure. La popularité du yoga et ma participation à la diffusion de son enseignement sont pour moi une grande source de satisfaction. Mais je ne veux pas que la popularité si répandue du yoga éclipse la profondeur de ce qu’il a à offrir à ceux qui le pratiquent.
Dans La voie de la Paix Intérieure, B.K.S. Iyengar expose une vision à la fois très personnelle et pragmatique du Yoga. Partant de son propre cheminement, il nous invite à réfléchir sur ce qu’est le yoga et la manière de le vivre tout en conciliant ses principes avec notre mode de vie moderne.
Son essai est découpé en cinq chapitres qui reprennent les cinq enveloppes yogiques de l’être : les Kosa. En philosophie du yoga, on considère que le corps est recouvert de cinq enveloppes différentes :
– annamaya kosa, le corps physique, le corps de chair oude nourriture
– pranamaya kosa, le corps de l’énergie
– manomaya kosa, le corps du mental
– vijnanamaya kosa, le corps spirituel ou intellectuel
– anandamaya kosa, le corps causal ou corps de félicité,encore appelé corps de l’âme ou de la béatitude.
Sadhguru, fondateur de l’Isha Foundation, explique que le but du yoga est d’arriver à aligner et synchroniser ces différents corps, lesquels sont partie intégrante de notre être. De son côté, Iyengar définit les kosa comme « les couches d’un oignon, ou comme des poupées russes, emboîtées les unes dans les autres ». Lorsque ces corps sont mal alignés ou en désaccord les uns avec les autres, nous rencontrons inévitablement l’aliénation et la fragmentation qui perturbent tant notre monde ».
Voici résumé le contenu des cinq chapitres du livre :
Chapitre I. Stabilité, Le corps physique
Iyengar évoque les qualités et vertus que l’on doit s’efforcer d’atteindre grâce aux asana. Il ne s’agit nullement d’un descriptif des postures de yoga mais plutôt d’une analyse de notre rapport aux postures.
En cultivant asana, nous sommes amenés à comprendre la vraie nature de notre incarnation, de notre être et de la divinité qui nous anime ».
Asana est la base de tout, le premier niveau par lequel on découvre le yoga et s’abandonne à lui.
Dans ce chapitre, le maître indien tient des propos très intéressants sur la santé et la maladie :
– Les maladies ne sont pas seulement un phénomène physique. Tout ce qui perturbe votre vie et votre pratique spirituelle est un mal qui finira par se manifester sous forme de maladie ».
– La santé commence par la fermeté physique, elle s’approfondit avec la stabilité émotionnelle, pour ensuite conduire à la clarté intellectuelle, à la sagesse puis, finalement, au dévoilement de notre âme ».
Pour Iyengar, la posture correcte est celle dans laquelle il y a toujours de la détente. Même si nous étirons complètement notre corps, « le repos doit habiter chaque posture ». Cette idée rappelle évidemment la définition donnée par Patanjali : Sthira Sukham Asanam, la posture doit être à la fois stable et confortable.
« Ce n’est pas le yoga qui
blesse, mais c’est la façon
dont on pratique le yoga qui
conduit à la blessure ».

Chapitre II. Vitalité, Le corps énergétique
Iyengar se consacre ici au prana, rappelant d’emblée que toutes les énergies vibratoires sont prana ». Il expose les principes du pranayama et le symbolisme rattaché à chaque mouvement respiratoire.
Il consacre par ailleurs quelques développements sur les six perturbations émotionnelles : le désir sexuel, l’orgueil, l’obsession, la colère, la haine et l’avidité. La respiration peut nous aider à contrôler ces émotions : « Si le souffle (prana) prévaut, les désirs sont contrôlés, les sens sont contenus et l’esprit est pacifié. Si la force du désir prend le dessus, la respiration devient inégale et l’esprit agité. »
Pour Iyengar, la respiration permet de capter l’énergie en provenance de l’extérieur et de l’utiliser pour notre évolution intérieure. Elle est à la base de ce qu’il nomme involution », terme qui signifie « se tourner vers l’intérieur ». Cette notion correspond en réalité à la cinquième branche du yoga de Patanjali, pratyahara : le retrait des sens, indispensable à la concentration de l’esprit.

Chapitre III. Clarté, Le corps mental
Dans ce chapitre, Iyengar traite des mécanismes internes de la conscience. Il se livre à un important effort de définition, décrivant par exemple avec le plus grand soin la notion d’ego : la « forme-je » ou « forme du petit soi » (à la
différence du Soi). Cet ego « se présente comme notre personnalité et s’arroge l’identité du vrai Soi. C’est la partie de nous-mêmes qui court après tout ce qui attire ». Une pratique soutenue et assidue du yoga conduit à distinguer l’ego de ce que nous sommes réellement.
Iyengar évoque aussi l’intelligence individuelle (buddhi), la mémoire et les samskara (les impressions laissées par une action et qui s’imprègnent dans notre subconscient).
Les samskara sont une véritable source de souffrance : ces impressions restent gravées en nous suite à une expérience vécue ou à une action, créant ainsi une sorte de prédisposition inconsciente. Ces impressions s’installent si profondément en nous qu’il nous est difficile d’en avoir conscience et de s’en détacher. Elles sont une cause de souffrance dans la mesure où nous créons beaucoup de samskara « négatifs » : colère, irritabilité, dépendance,…
La pratique du yoga permet d’agir en liberté, en étant détaché des samskara :
Nous savons tous qu’une croûte que l’on gratte constamment ne guérira pas. De la même manière, nous devons laisser guérir les vieilles blessures dans la mémoire. Cela ne veut pas dire qu’il faille les réprimer. Cela veut dire que ce qui n’est pas alimenté décline. Un banc de sable auquel nous n’ajoutons rien s’érodera au fil du temps. Une pratique correcte du yoga accélère ce processus, en nous permettant d’identifier les impulsions qui émanent des anciennes empreintes et en interrompant le mécanisme qui les alimente ».

Chapitre IV. Sagesse, Le corps intellectuel
Iyengar examine avec précision le concept d’esprit (citta) et les vritti, les fluctuations de la conscience.
Il évoque ensuite la concentration (dharana) et la méditation (dhyana), qui sont les deux avant-dernières branches de l’Astanga yoga de Patanjali. Elles servent respectivement à purifier l’esprit et faire cesser toutes les fluctuations de la conscience.
Pour Iyengar, la méditation est essentielle : elle représente la finale des jeux Olympiques du yoga ». Cela signifie que toutes les étapes précédemment décrites ont pour unique objectif de nous faire atteindre l’état méditatif.

Chapitre V. Félicité, Le corps divin
Reprenant fidèlement Patanjali, Iyengar aborde dans cette partie les klesa : les cinq perturbations du mental. L’ignorance (avidya) et l’orgueil (asmita) nous influencent à un niveau intellectuel ; l’attachement (raga) et l’aversion (dvesa) nous influencent à un niveau émotionnel ; la peur de la mort ou attachement à la vie (abhinivesa) nous influence d’un point de vue instinctuel.
« Toute l’humanité vit sans le vouloir dans la vérité du yoga. Le yoga est un (…). Et cependant, nous refusions la totalité de notre vision. Nous nous retrouvons dans la position de devoir la diviser, la compartimenter pour ne prendre que ce qui nous convient et rejeter ce que nous ne voulons pas. »

Chapitre VI. Vivre Libre
Ce dernier chapitre est une sorte de propos conclusif général. Il est en correspondance avec le dernier chapitre des Aphorismes de Patanjali : Kaivalya Pada, le chapitre sur la libération ou l’émancipation. Kaivalya, synonyme de moksa, la libération, est considérée comme l’ultime étape du yoga.
« Le yogi réalisé continue à fonctionner et à agir dans le monde, mais librement. Il est libéré des désirs de la motivation, libéré du désir du fruit ou de la récompense de l’action. Le yogi est complètement désintéressé, paradoxalement, il est pleinement engagé dans la compassion. Il est dans le monde, mais pas du monde. Le yogi est au-delà de la cause et de l’effet, de l’action et de la réaction ».
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Il convient de saluer la démarche profondément pédagogue et didactique de Iyengar. Il réussit à rendre intelligibles les grands principes du yoga et à révéler, par un langage pragmatique et sans détour, la simplicité de cet art.
Après avoir butté sur nombre d’ouvrages, je remercie profondément Iyengar pour cette approche parfaitement ajustée au mode de pensée occidental.
Je vous laisse découvrir quelques extraits du livre qui m’ont profondément marquée. Je vous invite à les lire sans y chercher de sens particulier, simplement en vous laissant absorbés, comme si vous étiez en méditation :
« Ce que nous appelons « mal », c’est l’ignorance en action qui, en tant que stratégie de vie, ne prospère que dans l’obscurité. »
« La bienveillance et la grâce sont deux qualités essentielles pour l’étudiant en yoga.»
« Prana est l’énergie qui imprègne l’univers à tous les niveaux. C’est une énergie physique, mentale, intellectuelle, sexuelle, spirituelle et cosmique. Toutes les énergies vibratoires sont prana. »
« Quand nous sommes avides, nous ne sommes jamais satisfaits, jamais contents. Nous craignons de ne pas avoir assez et nous devenons avares. Au lieu de voir notre richesse et de donner généreusement aux autres, nous ne devenons rien d’autre que de riches mendiants, qui demandent toujours plus. Dans le yoga, nous réduisons consciemment nos besoins afin de pouvoir diminuer nos attachements et accroitre notre contentement. »

« Du point de vue du yogi, la pratique et la philosophie sont inséparables. »
« Se détendre, c’est couper la tension. Couper la tension, c’est couper les fils qui nous lient à notre identité. Perdre l’identité, c’est découvrir qui nous ne sommes pas. «
« L’ego a été comparé au filament d’une ampoule électrique qui, parce qu’il s’illumine, se proclame la source de la lumière – l’électricité. En réalité, la lumière qui rayonne de la « conscience-je » provient d’une autre source, plus profonde, inconnaissable dans la vie quotidienne, mais dont l’espèce humaine a toujours senti intuitivement l’existence. »

« Le yoga essaie de nous aider à innover réellement, à développer l’intelligence qui nous permet de créer une nouvelle relation à notre ego et au monde. Cette nouvelle relation dépend du fait que nous percevions le monde avec objectivité et sincérité, et que nous faisions des choix en discernant ce qui convient le mieux. »

« Le yogi ne peut pas avoir peur de mourir, parce qu’il a amené la vie dans chaque cellule de son corps. Nous avons peur de mourir parce que nous craignons de n’avoir pas vécu. Le yogi a vécu. »
« Hokusai, le grand maître de l’estampe japonaise, affirmait à 70 ans passés que s’il vivait encore dix ans, il pourrait devenir un grand artiste. Je salue son humilité. »
« Nous devons avoir une aspiration spirituelle – et non pas une prétention spirituelle. »

Source : B.K.S. Iyengar, La voie de la paix intérieure. Libérez le potentiel créatif de la vie, J’ai lu, Paris, 2010.