Le Yoga-Sūtra de Patanjali : Quelques éclairages sur la Sādhana

Parmi les grands textes philosophiques sur le Yoga figure le célèbre Yoga-Sūtra de Patanjali.

En langue sanskrite, « sūtra » signifie le « fil du collier ». Ce terme a donné, par extension, le « fil conducteur d’un raisonnement ».  « Sūtra » désigne également les « perles du collier ». Ces « perles » sont des aphorismes : un ensemble de phrases brèves, laconiques et destinées à être facilement mémorisées. Le Yoga-Sūtra compte 195 aphorismes qui codifient l’enseignement et la pratique du yoga.

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Sur le plan historique, nous disposons d’un nombre de sources limité quant à l’élaboration de ce célèbre traité. Sa rédaction est située entre l’an 300 av. J.-C. et l’an 500 de notre ère et est attribuée au grand érudit indien Patanjali. Toutefois, nous ignorons si ce penseur a réellement existé ; certains spécialistes l’associent à une personne, d’autres à une école de pensée. Dans tous les cas, son nom est associé à la compilation d’un des arts millénaires les plus énigmatiques de l’Inde.

En dépit de son ancienneté, le Yoga-Sūtra est un texte définitivement intemporel. Mais comme tout texte issu de la philosophie indienne, sa lecture doit être attentive et inspirée : l’auteur s’y exprime en « spirales », revenant à plusieurs reprises sur des sujets déjà traités afin de les développer plus en détail. Nous sommes ici bien loin du mode de raisonnement linéaire occidental. 

Dans le deuxième chapitre ou Pāda de son traité, Patanjali s’intéresse à la Sādhana, sorte de « mode d’emploi » du Yoga. La Sādhana désigne à la fois la pratique et les différents moyens d’action afin de créer les conditions favorables au processus de transformation du Yoga.

Pour parvenir à l’état d’unité et de conscience totale, il faut vaincre plusieurs obstacles, largement développés dans ce chapitre et le précédent. L’un de ces principaux obstacles concerne les agitations du mental (Vrittis) et les agitations du champ émotionnel (Kleshas). Patanjali plonge ici au cœur la psyché humaine : l’être humain, qui évolue dans le monde sensible et de l’expérience, a la fâcheuse habitude de s’identifier aux manifestations de ce monde sensible. La conscience humaine s’identifie à son environnement. Si celui-ci est hostile, elle s’identifiera à l’hostilité. Si la conscience humaine est confrontée à la colère et à la violence, elle s’identifiera à ces émotions. Cette tendance à l’identification « brouille » les pistes, agit comme une sorte de « bruit parasite » empêchant une communication claire et limpide entre la conscience et la réalité.

Aussi, le but du Yoga est de permettre à l’être humain de sortir de la dualité Manifestations du monde sensible VS Non manifesté. Pour ce faire, il doit être en mesure de se détacher de sa « conscience périphérique » afin de revenir au Soi, développant alors ce que Patanjali nomme la faculté de discrimination. Il s’agit de la faculté de ne plus confondre les manifestations du monde sensible avec la Réalité. La Réalité ne peut être de l’ordre du Manifesté.

Patanjali devait être un esprit éminemment pragmatique : loin de lui l’idée de laisser ses lecteurs sans aucun moyen d’action concret. Nous l’avons dit plus haut : Sādhana Pāda est avant tout un mode d’emploi. Or, il se trouve que l’un des Sūtra les plus importants et les plus commentés du Sādhana Pāda est l’ Astanga Yoga, aussi connu sous le nom de Rāja Yoga, le yoga « intégral » ou « royal ».

En sanskrit, « Asta » signifie « huit » et « Angas » désigne les « membres ». Littéralement, cet aphorisme est donc celui des Huit membres du Yoga. Ces huit membres constituent le moyen d’action, c’est-à-dire le moyen de développer la faculté de discrimination qui permettra à la conscience d’atteindre l’état d’unité. Grâce à la pratique de ces huit branches, le Yogi parviendra, au fil des années et d’une pratique intense, à ne plus s’identifier aux manifestations sensibles.

Ces Huit membres sont : 

1. Les Yamas, les règles morales, les observances que l’on doit appliquer dans sa relation aux autres ;

2. Les Niyamas, les règles morales que l’on doit appliquer à soi-même ;

3. Les Asanas, la pratique des postures ;

4. Le Prānāyāma, la pratique de la respiration ;

5. Le Pratyāra, l’écoute intérieure, le retrait des sens ;

6. Le Dhāranā, la concentration ;

7. Le Dhyāna, la méditation ;

8. Le Samādhi, l’état d’unité.

Ces Huit membres opèrent un syncrétisme subtil de différentes lignées de Yoga, notamment celles issues des principaux courants de l’hindouisme : le vishnouïsme et le shivaïsme.

Au premier, Patanjali a emprunté les notions de morale et de vertu qu’il a intégrées dans les Yamas et les Niyamas. Par exemple, plusieurs références à ces règles éthiques figurent dans le récit épique du Mahābhārata, et plus particulièrement dans la Bhagavad-Gita, l’un de ses extraits les plus célèbres. Ce texte constitue d’ailleurs, pour de nombreux historiens et philosophes, l’essence-même du Yoga.

Quant au shivaïsme, Patanjali s’en est certainement inspiré pour l’arsenal des techniques posturales, respiratoires et mentales.

Précisons en outre qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces différents membres. La pratique de l’un ou de l’autre permettra d’atteindre l’état de pure conscience, sachant que les quatre derniers concernent davantage la pratique « intérieure », axée sur le corps subtil, tandis que les quatre premiers permettent surtout d’évoluer avec le corps physique (Asanas/Prānāyāma). C’est d’ailleurs dans cette dimension limitée que nous connaissons, pour la grande majorité d’entre nous, le Yoga : par la pratique de la respiration et des postures.

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